Louis Viannet et la CGT

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Hommage à Louis Viannet qui a été « l’homme de la situation » qui a permis à une CGT affaiblie de se ressourcer et de sortir de l’impasse.

A son arrivée au poste de secrétaire général en 1992, l’accession de Louis est interprétée par beaucoup, à l’intérieur comme à l’extérieur de la CGT, comme une reprise en main de la confédération par un Parti Communiste affaibli. Au contraire, à son initiative, la CGT prend très vite ses distances, et décide, lors des élections législatives de 1993, de ne pas donner de consigne de vote. A l’intérieur, la CGT est habitée par le débat entre « modernistes » et
" conservateurs ", expression qui est à la fois un artefact journalistique trompeur et la transcription simpliste d’une confrontation « à géométrie très variable » des idées mais aussi des ambitions ou des nostalgies des individus et des clans qu’ils ont pu organiser autour d’eux.
 
Syndicalisme rassemblé 
Avec, ou en dépit de toutes ses difficultés, la CGT évolue. Louis Viannet, avec beaucoup d’intelligence, va s’efforcer de la mettre à l’heure européenne. Il s’applique également à normaliser et à dédramatiser les relations avec le patronat en acceptant de rencontrer Jean Gandois, patron du CNPF, l’ancêtre du Medef. Louis Viannet a été « l’homme de la situation » qui a permis à une CGT affaiblie de se ressourcer et de sortir de l’impasse.

Très attentif au pluralisme syndical, il va s’attacher à promouvoir, par-delà les divergences des centrales, l’idée de renouer les fils de l’unité du mouvement syndical sans laquelle il est totalement illusoire pour lui d’envisager la construction d’un mouvement social efficace : c’est l’acte de naissance de la stratégie du « syndicalisme rassemblé » réaffirmée par les congrès successifs de la CGT. Très sensible aux déserts syndicaux que sont le secteur privé, les PME, le secteur tertiaire, il a eu très tôt la lucidité et le courage d’affirmer : le syndiqué CGT est maintenant un « salarié à emploi quasi garanti et à statut dont les différents besoins diffèrent totalement de ceux des chômeurs, des précaires, et des exclus ».
 
Louis a le souci de rendre la confédération plus « réaliste » dans les démarches de négociations, avec la volonté de s’engager dans un syndicalisme de proposition
 
C’est aussi pourquoi Louis a le souci de rendre la confédération plus « réaliste » dans les démarches de négociations, avec la volonté de s’engager dans un syndicalisme de proposition qui, tout en contestant vigoureusement ce qui est contestable, ne souhaite pas s’enfermer dans la seule contestation. L’entrée de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES), longuement préparée par Louis Viannet est accomplie en 1999 avec Bernard Thibault.

Elle est à la fois la marque du travail important de renouvellement conceptuel et de la pratique de l’organisation sur un terrain difficile qui constituait traditionnellement un lieu de clivage politique du mouvement syndical français. Elle est aussi la preuve de la reconnaissance de la valeur de la CGT par ses pairs du mouvement syndical européen, de l’apport que constitue sa combativité et du profond retentissement en Europe du mouvement de décembre 1995 dans lequel s’étaient particulièrement illustrés la CGT et celui que Louis a appelé de ses vœux pour lui succéder à la tête de la Confédération. 
 
Evolution du salariat 
L’évolution du salariat rend encore plus nécessaire que la CGT accorde une place majeure à l’action territoriale, laquelle ne se résume pas, loin de là, à l’activité des instances territoriales. Le maître mot c’est la coordination, c’est-à-dire le travail en commun de fédérations qui se renforcent en s’inscrivant dans des champs d’intervention professionnelle plus larges, adaptés à chacune des réalités et des dynamiques territoriales. Seul un tel redéploiement coordonné peut permettre de poser d’une autre manière la question de l’organisation de la défense des salariés de tout statut, d’imposer les « bons » lieux de négociations, de revoir la conception de l’organisation et du contenu des conventions collectives.
 
« Si nous ne prenons pas en compte l’impératif d’appréhender autrement la territorialité de l’implantation du salariat, nous courons droit à la marginalisation »
 
Dès 1995 Louis Viannet, dans un livre intitulé « Les défis du syndicalisme » évoquait « la nécessité de repenser et de bousculer nos pratiques, nos comportements et à coup sûr certaines de nos structures ». Il ajoutait « Si nous ne prenons pas en compte l’impératif d’appréhender autrement la territorialité de l’implantation du salariat, avec la création de syndicats locaux, de site, de zone – peu importe le nom de baptême  - avec des formes nouvelles de coopération entre nos fédérations, nos syndicats nationaux, nos structures locales et départementales, le tout accompagné d’une refonte de nos conceptions d’intervention en direction des différentes catégories, je dis que si nous ne gagnons pas cette bataille, nous courons droit à la marginalisation ». 
 
Parole libre 
L’attachement de Louis Viannet à son organisation ne s’est jamais démenti. C’est lui et lui seul qui l’a conduit à faire entendre sa voix au plus fort de la crise interne ouverte par le comportement et l’obstination de Thierry Le Paon. Cette intervention, à la fois courageuse et mesurée, lui aura valu des réactions hystériques de quelques caciques de la porte de Montreuil. Au-delà du fait qu’elles n’honorent pas leurs auteurs, ces réactions qui assimilaient des paroles libres à des blasphèmes, étaient autant de symptômes de la profondeur de la crise, dont la CGT n’est pas sortie, tant son image a été atteinte et son potentiel de réflexion stratégique affaibli.
 
Le plus vibrant hommage que pourrait rendre la CGT à Louis Viannet, homme d’initiative et de liberté, serait de renouer positivement, profondément avec son audace stratégique. Le « syndicalisme rassemblé » ce n’est pas autre chose que d’être à la fois raisonnablement confiant dans sa propre approche des réalités sociales, et très attentif à la démarche des autres, d’être en permanence à l’affût de tout ce qui peut favoriser et nourrir le combat commun. Pour être efficace, le mouvement syndical a besoin d’unité. Unis, nous pouvons gagner, divisés nous sommes toujours affaiblis. La recherche de l’unité des salariés et de leurs syndicats doit être permanente, l’unité n’est pas un détour tactique, elle est la condition irremplaçable pour que les salariés affirment toute leur place dans la société.
 
Louis, avec la grande humilité dont il ne s’est jamais départi, nous a légué un précieux héritage. Nous devons le faire fructifier, sauf à nous condamner nous-mêmes au déclin et à l’insignifiance. Louis Viannet est et restera pour longtemps une référence essentielle pour qui souhaite sortir le mouvement syndical français des postures crispées et des impasses stratégiques dans lesquelles continuent à se complaire ou s’enfoncer ses différentes obédiences. Aucune organisation syndicale ne peut prétendre aujourd’hui changer, seule, le cours des choses. Comme le disait souvent Louis, faut-il attendre d’être d’accord sur tout pour agir ensemble ? 
 
 Joël Decaillon, vice-Président de Lasaire, est un ancien dirigeant de la CGT et de la Confédération européenne des syndicats (CES)             

Joël Decaillon